Voici un article tiré d’un livre de Michel Desmurget (introduction et conclusion) qui met en lumière les limites de l’apprentissage par mimétisme s’il n’est pas accompagné d’une compréhension intellectuelle.
« Imitation et apprentissages moteurs : Des neurones miroirs à la pédagogie du geste »
Michel Desmurget
Introduction :
Peut-on apprendre un geste en regardant ? La question semble presque saugrenue, tant l’imitation est au coeur de notre quotidien.
Lorsque je tire la langue, ma fille de 14 mois fait de même. Lorsque je passe près d’un terrain de sport, j’entends souvent l’enseignant demander à ses élèves d’observer et de faire pareil. Lorsque je compulse la littérature scientifique et technique sur l’apprentissage moteur, je découvre que » les capacités d’imitation sont particulièrement fortes chez les enfants » (Knapp), que » la démonstration est un moyen pédagogique très utile » (FFT) et qu’en fait » l’imitation – copier des mouvements du corps – apparaît comme étant simple » (Brass et Heyes).
Même l’aride neurophysiologie m’indique qu’il existe des neurones » miroirs « , qui répondent non seulement lorsque je réalise une action, mais aussi lorsque je regarde un tiers accomplir cette action. Une telle correspondance visuo-motrice fournit semble-t-il un solide support au processus d’imitation gestuelle. Le présent ouvrage interroge, pour finalement la rejeter, l’hégémonie des idées précédentes.
Plusieurs questions sont abordées successivement. L’imitation est-elle aussi naturelle et irrépressible qu’on le dit ? Les neurones miroirs représentent-ils un fondement crédible au processus d’imitation gestuelle ? Est-ce la forme ou le but qui qualifie le mouvement et détermine les processus neurophysiologiques à mettre en oeuvre ? L’apprentissage moteur obéit-il à une logique centripète (partant d’une multiplicité d’expériences entrelacées pour élaborer, par abstraction, une règle générale et généralisable) ou centrifuge (partant d’une instance particulière » moyenne » de l’habileté pour aboutir par différenciation progressive à une large palette de comportements adaptables) ? Le système nerveux peut-il, à partir d’un modèle visuel externe, déterminer la nature des commandes musculaires à générer pour éviter, par exemple, qu’une action de mon bras ne déséquilibre ma course ? Le geste de l’expert, souvent utilisé comme référence par les pédagogues, est-il accessible à l’appareil sensori-moteur du sujet débutant ?
Ce travail se veut un outil de référence pour les étudiants, enseignants, chercheurs et praticiens de terrain intéressés par les domaines de l’imitation et de l’apprentissage moteur.
Conclusions :
Au terme de cet ouvrage, il apparaît que l’imitation gestuelle n’est ni innée, ni triviale, ni naturelle. Contrairement à une idée fort répandue, notre capacité à reproduire une forme motrice perçue sur autrui est tristement pauvre. Les approches pédagogiques démonstratives sont non seulement peu efficientes mais aussi potentiellement dommageables pour le devenir de l’apprentissage. Sept points principaux nous ont permis d’aboutir à ces conclusions:
(1) L’enfant, et d’une façon plus générale l’ensemble des primates, présentent une tendance naturelle à l’imitation. Cette tendance porte toutefois, non sur le détail cinématique du geste (comment faire), mais sur le contenu fonctionnel de l’acte (que faire). Ce qui est imité c’est l’action (e.g. tirer la langue) pas le mouvement. Au sens Piagétien on pourrait dire que l’imitation n’implique pas la duplication du schéma transitif (utilisé à titre de moyen), mais la reproduction d’un schème final (assignant un but à l’action).
(2) L’observation d’une action en train de se réaliser entraîne l’activation de certaines aires motrices dites miroirs. Cette activation ne dépend toutefois pas des caractéristiques fines du mouvement. Elle se situe dans l’espace des actions.
Il existe à ce titre peu d’évidences montrant une réelle modulation de la réponse corticale en fonction des singularités du modèle observé. Par ailleurs, il apparaît qu’une activation des aires motrices miroirs est enregistrée avant le mouvement effectif (le sujet sait que la main d’un tiers va bouger), en l’absence du modèle (le sujet ne voit que le début du geste), lorsque le sujet humain observe un chien, ou lorsqu’un singe observe un expérimentateur humain. Dans ces deux derniers cas, l’activation n’est observée que si l’action fait partie du répertoire moteur de l’observateur.
Sur la base de ces données il semble difficile de conclure qu’une voie « visuomotrice directe » est impliquée dans l’apprentissage d’habiletés nouvelles.
(3) L’imitation formelle n’est possible que si le sujet a une connaissance précise de la forme que prend son corps dans l’action. Or cette connaissance naît de l’apprentissage. Elle ne saurait dès lors sous tendre ce dernier.
(4) Le processus d’intégration des schèmas ne peut être mené à terme qu’à travers une confrontation directe avec la tâche. En effet, la démonstration ne communique aucune information sur les propriétés dynamiques du mouvement. Elle est en particulier inapte à renseigner le sujet sur la nature des interactions multisegmentaires induites par le mouvement et sur les caractéristiques des activations musculaires à engager pour produire le geste attendu. L’essentiel est en quelque sorte soustrait à la vue de l’observateur.
(5) Deux gestes, en apparence identiques, peuvent être sous-tendus par des processus neurophysiologiques différents. A ce titre, les mécanismes de production du mouvement diffèrent fondamentalement selon que la tâche impose de reproduire une forme gestuelle (morphocinèse) ou d’agir concrètement sur l’environnement (téléocinèse). Lorsque la démonstration érige le moyen au rang de fin, elle corrompt irrémédiablement l’apprentissage en bouleversant l’intimité des mécanismes de planification et de contrôle du geste.
(6) Les approches démonstratives obéissent le plus souvent à une logique pédagogique centrifuge au sens où elles partent d’une instance particulière « moyenne » de l’habileté pour aboutir, théoriquement, par différentiation progressive, à une large palette de comportements adaptables. Ce type de logique tend à anéantir les marges de flexibilité du système moteur pour favoriser in fine la constitution d’invariants rigides et impérieux. Ces invariants sont une entrave massive, pour ne pas dire irréversible, dans la perspective d’apprentissages ultérieurs.
(7) La capacité à dissocier et coordonner les groupes musculaires impliqués dans l’action est le produit de l’expertise. La fluidité du geste n’est pas un gage de simplicité exécutive mais un signe de complexité fonctionnelle. Dès lors il semble illusoire d’espérer que le sujet non expert puisse reproduire le geste achevé du pratiquant de haut niveau. Les approches démonstratives adoptent pourtant le plus souvent pour référence le formalisme gestuel du pratiquant de haut-niveau. Ce formalisme est inaccessible au débutant.
A suivre…